C’est mon tour de faire la vaisselle, dit-il…
C’est mon tour de faire la vaisselle, dit-il en se dirigeant vers la cuisine. Les convives se levèrent tous pour aider à débarrasser la table, et restèrent debout dans son dos dans la cuisine étroite, à bavarder. Il les entendait, les écoutait par instants, riait de leurs blagues, ajoutait par instants sa voix aux leurs. Il n’avait pas encore commencé à laver la vaisselle, il en était encore à la ranger : superposer toutes les assiettes, les creuses sur les plates, et tous les bols du plus grand au plus petit ; rassembler tous les couverts dans le même sens dans le saladier ; répartir l’eau de rinçage des légumes dans les différentes casseroles… S’il n’était pas aussi méthodique, soupira-t-il intérieurement, il aurait déjà lavé la moitié de la vaisselle. Mais c’était plus fort que lui, il avait besoin de cette préparation, qui répondait chez lui à un goût général qu’il avait toujours du mal à formuler : que les choses soient disposées de telle façon que l’acte décisif, à la fin, soit bref, doux, facile, idéalement un simple effleurement… Évidemment pour cette satisfaction, tout le travail était de préparation ; et il se disait parfois que sa vie, toute sa vie jusqu’alors, ressemblait peut-être aux durs préparatifs d’une mort si douce, rapide et silencieuse que nul, lui compris, n’y prendrait garde, une mort par soudaine évaporation, par disparition totale et subite, y compris des mémoires et des registres, un effacement dans un clin d’œil.