Journal du conteur

Seuls quelques-uns sont restés…

Seuls quelques-uns sont restés, les autres ont déserté pour se réfugier dans la chaleur des villes. Par haine de la promiscuité, je suis demeuré avec les premiers. Nous prenons possession des immenses bâtiments abandonnés ; ils n’ont pas été conçus pour l’habitation, et il nous faut du temps pour leur apporter le confort auquel nous sommes accoutumés et ne voulons pas renoncer : l’électricité, le chauffage, l’eau courante chaude, une douche. Nous nous installons peu à peu, à bonne distance les uns des autres. Chacun voit, aux limites du territoire qu’il s’est réservé, les autres vaquer à leurs occupations quotidiennes, toujours à portée de voix au cas où. Les portes sont toujours ouvertes, les limites n’ont pas été tracées : depuis l’exode, il y a bien assez d’espace pour tous. Nous nous rendons visite, prenons souvent nos repas ensemble, car nos cuisines sont encore rudimentaires. Des couples se forment. Aucun ne s’est encore durci au point de ne plus faire qu’un seul foyer, mais nous savons tous que ça viendra bientôt ; et d’ici mille ou deux mille ans, un nouvel exode sera nécessaire.

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