Journal du conteur

Tu ne peux pas te détacher…

Tu ne peux pas te détacher (te dit, par dessus ton épaule, le passant qui t’aperçoit essayer en cachette) : les nœuds sont trop nombreux, trop compliqués même s’ils ne sont pas trop serrés : tu ne peux qu’arracher, trancher tes liens. Pour quoi faire ? voudrait-on te demander. Est-ce à notre présence que tu veux échapper ; à la possibilité constante, certes, quoique rarement concrétisée, de notre survenue, intempestive peut-être mais toujours bienveillante ? Mais tu t’es déjà esquivé, confirmant nos pires craintes : il ne s’agissait pas de relâcher des liens déjà suffisamment ductiles pour pouvoir être allongés au moins jusqu’à Pluton, mais bien d’une rupture. Tu as disparu. Inutile de tirer : plus personne au bout du fil ; mais nous ne te chercherons pas ; et te rencontrerions-nous par hasard que nous aurions grand mal à seulement nous reconnaître. Puisses-tu trouver, dans cet état de… — comment le décrirais-tu : liberté périlleuse, autonomie errante, refondation solipsiste, solitude misanthrope…? — puisses-tu trouver, même si ce n’est pas ton souhait, à qui, à quoi raccrocher les liens effilochés que tu traînes et qui, j’en ai peur, battant, s’emmêlant et partout au moindre relief se prenant, t’entravent bien plus maintenant qu’alors.

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