Journal du conteur

À force de solitude et de réclusion volontaire…

À force de solitude et de réclusion volontaire, il rapproche peu à peu les horizons jusqu’aux murs de sa chambre, et finit par réduire le monde entier aux dimensions de son regard myope. Tout ce qu’il perçoit encore de bruits étouffés, tout ce qu’il sent malgré lui avoir lieu derrière sa porte, il le dédaigne comme illusoire, ou du moins n’existant que d’une existence subalterne, spectrale, manquant du mérite d’être à lui, de lui, pour lui. Ses parents qui seuls ne l’ont pas abandonné et viennent encore lui rendre visite, timides comme avec un mourant, il les traite avec condescendance, en valets, et s’ils insistent dans leur compassion raisonneuse ou suppliante, il s’emporte : comment osent-ils s’inquiéter pour lui, le maître du monde ? — et ce disant il embrasse dans l’étendue virtuelle de ses bras grands ouverts les quatre murs proches, le lit, la table et la fenêtre obturée. Quand il les rencontre sur le chemin des toilettes, dans la cuisine ou la buanderie, il fait comme s’il ne les voyait pas ; et s’il ne peut pas les ignorer, il le leur fait payer en les humiliant jusqu’à les faire se sentir aussi peu dignes de vivre que lui-même.

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