Journal du conteur

À peine entré dans la salle des futurs…

À peine entré dans la salle des futurs, j’ai la surprise de constater qu’elle n’est ni virtuellement infinie ni labyrinthique, contrairement à mes attentes ; ce n’est même pas la plus grande salle du musée. J’espérais être impressionné : je suis plutôt déçu. Un coup d’œil me suffit pour comprendre son organisation : chaque avenir est derrière une des quelques dizaines de portes pratiquées dans ses murs droits. Au-dessus de chaque porte se trouve un grand écran, presque rempli par l’image d’un homme de dos. Cet homme c’est à chaque fois moi : celui que je deviendrai dans l’avenir qui s’ouvre derrière cette porte. Le simulacre, toujours de dos, s’éloigne ; je dois choisir celui que je vais suivre. Je m’étonne du petit nombre des portes, relativement à l’infinité des combinaisons possibles : n’ai-je donc, moi, que ces quelques dizaines d’alternatives ? La taille de la salle, le nombre de portes, varient-ils en fonction du visiteur ? Quoi qu’il en soit, je souffre, dans mon orgueil, d’être si limité. Mais bientôt j’y vois une chance : je n’ai pas à perdre des années entières à passer toutes les portes en revue, je ne suis pas forcé de me presser, je peux au contraire me permettre de passer un long moment devant chaque porte, les yeux levés sur son écran, à examiner les détails de la scène, le décor, la lumière, les vêtements de mon alter ego…

Il y a maintenant des années que je suis dans la salle des futurs (il m’en semble du moins, j’ai perdu le compte des jours), à contempler portes et surtout écrans sans cesse. Je n’ai même plus besoin de me déplacer, tant je connais les scènes par cœur. Du coin de la salle où je campe, subjugué je quitte à peine des yeux l’homme, qui, toujours revenu au-dessus de chaque porte, ne cesse pas de s’éloigner dans des décors inchangés, m’invitant par sa démarche à le suivre. Quand je suis prêt à passer une des portes, toujours un doute me prend ; je jette un dernier coup d’œil circulaire aux autres écrans, et à cet instant un détail qui m’avait échappé, malgré la minutie de mes observations continuelles, m’arrête. Si ce détail, qui pour être détail n’en est pas moins important et peut-être décisif, m’a échappé malgré toutes ces années d’études, qui sait combien d’autres, et peut-être plus décisifs encore, j’ai pu ignorer ? Je reprends donc place dans mon coin, et je recommence, de plus en plus las, mon examen des promesses ambiguës de chaque scène : en rêve et en pensée j’explore et je vis d’innombrables virtualités de mes avenirs.

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