Journal du conteur

À peine sorti de l’enfance…

À peine sorti de l’enfance, arraché de ma vie je fus jeté dans les poubelles de l’histoire. Nulle aversion particulière contre moi. Je n’étais qu’un numéro dans un registre. Oublié là parmi tant d’autres, nous nous débrouillions. Les poubelles de l’histoire étant bien remplies, et certains déchets n’en ayant que le nom, le matériau ne manquait pas pour dresser des habitations de fortune. Haillons, restes, croûtes et quignons secs, eau de pluie. Vie morne mais tranquillisée par l’absence d’espoir, et courte par absence de soins.

Puis un jour le grand chambardement : on retourne, on vide les poubelles de l’histoire, nous nous retrouvons cul par-dessus tête au milieu des débris. On ne nous cherchait pas mais on nous retrouve. Sauver est un grand mot, mais du moins on nous tire de là. Des poubelles de l’histoire, nous passons dans un camp de réfugiés. Petite, petite amélioration.

On nous fait miroiter des logements proprets, robinets rutilants, douches à volonté, lumière électrique, toiture étanche… Nous découvrons l’espoir et l’impatience, tortures auxquelles nous n’étions pas préparés. Malgré les soins, nous succombons peu à peu à la fièvre de l’histoire.

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