Journal du conteur

Au centre de l’agora…

Au centre de l’agora, dans une vasque sur un podium, est la parole. Qui veut parler, monte sur le podium et met la parole dans sa bouche. La foule, à peine aperçoit-elle un homme escalader le podium, accourt. Pendant quelque temps, elle écoute. Puis les premiers contradicteurs, échauffés par le discours toujours provocateur, s’enhardissent. Ils s’approchent du podium, jouant des coudes. Le mécontentement enfle, gronde. Jusqu’à ce qu’un courageux, ou un colérique, attrape les échelles et commence à grimper. C’est le signal : alors on se rue, la foule hurle. Le discoureur se brise la voix à crier assez fort pour qu’on l’entende encore. Ses défenseurs — car il en a toujours — se jettent sur les assaillants du podium. La bataille s’engage. La foule, plus nombreuse, finit toujours par avoir le dessus. Le premier assaillant qui atteint le sommet du podium se jette sur le discoureur lapidé.

Dans le tumulte, la parole est perdue. Elle roule, elle est écrasée, projetée dans la foule. Disparue, volée, détruite.

Plus de parole ; la cité en sera privée jusqu’à ce qu’une autre, une nouvelle parole soit déposée, lors d’une cérémonie solennelle, dans la vasque.

153