Journal du conteur

Au cours de sa vie, il mue…

Au cours de sa vie, il mue de nombreuses fois. Mais contrairement aux insectes, aux serpents, il ne s’extrait pas de ses mues, car il mue dans le sens inverse, ses dépouilles vers l’intérieur. Au lieu de les abandonner aux vents ou de s’en nourrir, au lieu d’être à chaque mue délesté du passé, du vieux soi, il conserve toutes ses mues en lui comme un arbre ses anneaux de croissance. Elles se dessèchent et se ratatinent, peu à peu, dans le vide intérieur qui les empêche de pourrir et d’empoisonner leur hôte. Aussi, quand l’extérieur même commence à vieillir, à se craqueler, est-il vain d’espérer : aucune régénération externe ne peut rien contre le creux sec qui a fini de remplir l’homme. Ses mues imbriquées, les plus anciennes d’abord, puis au fur et à mesure les mues de plus en plus récentes, se sont effritées. Jusqu’à la dernière. Fine et translucide comme une aile de papillon, la dernière peau de l’homme tombe en poussière à son tour, et révèle un tas de la même poussière, aussi légère que la cendre. Cette cendre des ans est vite éparpillée par les vents, fertilise les terres et plus rien ne reste de l’homme que les os ; les mêmes qu’on voit partout, dont on fabrique pieds de table, charpentes, accastillage, outils, menus bijoux…

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