Journal du conteur

Celui qui fait fuir les oiseaux

Je marche dans les bois. D’un côté, au bord du chemin, j’aperçois un cadavre sans tête. Un peu plus loin, de l’autre côté, une tête, d’enfant, avec sa colonne vertébrale. À son profil, je reconnais le fils de L. (laquelle n’a pourtant que trois fillettes). Je vais la chercher. La voici ; elle regarde, et, quoique éprouvée, récite une prière, ou peut-être une incantation. Peut-être qu’elle chuchote, ou bien elle emploie, c’est le plus vraisemblable, sa langue maternelle, qui m’est étrangère ; en tout cas je ne comprends pas ce qu’elle dit. En fait je ne l’entends même pas, comme si le vent couvrait sa voix, comme si elle parlait sans bruit, comme si j’étais sourd.

Quelque temps plus tard, dans le bois, je rencontre le mort. C’est maintenant un adulte, un jeune homme ; ses cheveux sont noirs (L. et ses filles sont blondes). Je suis surpris, mais surtout soulagé de le voir ; hésitant, craintivement, je l’interroge ; il ne se souvient pas avoir été mort ; j’avais dû rêver. Mais à son approche tous les animaux font silence ; le vent et le pas, soudain les seuls bruits, alertent l’oreille ; et sur son passage, les oiseaux s’envolent, s’égaillent, s’enfuient, disparaissent dans un fracas de battements d’ailes. Il s’arrête ; le silence retombe ; et je remarque à ses yeux fuyants que lui, le mort, le rené, le survivant, l’a remarqué aussi. Je me demande, mais ne lui demande pas, s’il en conclut, comme je le fais malgré moi, que les oiseaux sentent ce qu’il dit ignorer.

J’ai raconté ce rêve à ma fille. Elle me l’a fait répéter deux fois. Puis elle l’a corrigé ainsi : le cadavre est un squelette, il a une tête, et L. est une magicienne.

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