Journal du conteur

Dans les empreintes laissées par ses larges chaussures…

Dans les empreintes laissées par ses larges chaussures je pose mes pas, j’efface de mes traces les siennes, et je le suis, sans le voir, sans savoir vers où m’entraîne celui que sans le connaître, d’après le seul tracé de ses pas, je me suis choisi pour guide. Sait-il lui-même où il va ? Et qui le guide, lui ? Je préfère croire qu’il est un de ceux, un des rares qui créent leur propre chemin, et qui servent de guide à tous les autres qui comme moi ne le peuvent ou ne le veulent pas.

Parfois lors de mes pauses je me retourne et j’essaye d’apercevoir à l’horizon dans mes traces celui ou un de ceux dont je suis le guide. L’horizon reste désespérément vide, et sans savoir si je ne suis encore le guide de personne ou si j’ai manqué de patience je reprends ma route. Par dépit j’ai parfois la tentation de balayer du pied mes traces après moi ; jusqu’à présent je me suis toujours repris avant.

Quand je croise d’autres traces, je m’arrête un moment au cas où passerait quelqu’un, mais je n’ai encore jamais rencontré personne ; pour voir du monde il faut attendre d’aboutir aux nombreux centres de vie commune établis aux plus grands carrefours, où chacun rassasie plus ou moins vite sa sociabilité. La majorité des hommes un jour ou l’autre s’arrêtent et s’installent dans un de ces centres. Une minorité préfère continuer de suivre des traces, ou les inventer.

Souvent je rêve de suivre les traces d’un autre à l’une de ces rares occasions où j’en croise. Cela ne changerait rien pour ceux dont je suis ou serai le guide, me dis-je, sans pour autant me rassurer complètement. Mais chaque fois le courage me manque, la peur me paralyse, et je m’abandonne aux traces que je me suis assignées censément une fois pour toutes.

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