Journal du conteur

De la crête basse où je suis monté…

De la crête basse où je suis monté, au loin dans la plaine j’aperçois une bande de nomades en mouvement. Quelques dizaines (une grosse centaine ?) de silhouettes longilignes et lentes en route, je le suppose, vers ces bosquets de noyers géants qui s’atteignent en deux ou trois jours et qui, en cette saison, couvrent le sol de leurs fruits très nutritifs et protéinés. À cette distance, je ne discerne pas leur équipement, nécessairement mince. On dirait qu’ils vont nus sur la terre, tranquilles comme un troupeau sans appréhension. Seules peut-être leur grande taille et la petitesse de leur tête laissent deviner que certains d’entre eux portent une lance. Plutôt pour la chasse ou pour la guerre ? Je ne le saurai probablement pas. Je les regarde passer, honteusement envieux, et triste. Envieux d’une liberté qui dédaignerait même le casse-noix que je pourrais leur offrir : à quoi bon le transporter, quand on trouve partout des pierres ; triste de savoir que la survie même de l’enfant malade que je fus implique un mode de vie beaucoup trop lourd pour être mobile — et peut-être même soutenable. Moi qui aime tant marcher, j’aurais pu être heureux parmi eux. Mais, à mon âge, la distance culturelle est infranchissable, et l’habitude une armure inamovible. Du moins, je me console et me résigne en le croyant.

Ils ont presque disparu de la surface de la terre, mais certains parmi nous, optimistes ou pessimistes, croient qu’un lointain avenir leur appartient. Les optimistes le souhaitent, les pessimistes le craignent.

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