Journal du conteur

En chemin, la journée…

En chemin, la journée, il a toujours l’impression de marcher droit devant lui. Mais quand il fait le point, sur la carte, le soir, il se rend compte que son cheminement finit invariablement par tracer une spirale. Du lieu fortuit, quelconque et honni de sa naissance, il ne s’éloigne jamais qu’en une lente spirale, comme si sa fuite la plus directe était infléchie par une force centripète qu’il ne sentirait pas ! Cette force, ce n’est pas le remords, ce n’est pas la nostalgie, ce n’est pas la culpabilité d’abandonner ceux qui voudraient le retenir, il en est sûr, il est pur de toutes ces passions tristes. Ou bien comme si le monde, dans son épaisseur et sa densité, lui opposait une résistance que seul un faible angle d’attaque pourrait vaincre. Mais le monde l’ignore justement. Non, cet infléchissement quotidien de sa course ne peut avoir qu’en lui sa cause. Il a essayé de la percevoir, il a essayé très attentivement de foncer tout droit, mais il a continué à spiraler sans rien déceler. Et il a fini par se résigner : pour lui le chemin le plus court et le plus rapide — celui qu’il lui semble suivre chaque jour — passe par l’exploration méthodique, de proche en proche, par l’arpentage continu et précis, petite portion par petite portion, de la plus grande part de sa patrie. Il voudrait être déjà loin, mais il se trouve assimilant ce patrimoine qui le rendait bien moins curieux que ce que l’horizon lui cache encore. Malgré lui, son héritage semble être son principal combustible.

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