Faire son trou
Chaque homme essaye de faire son trou. On s’arme, on s’équipe, pelle et pioche, excavatrice, foreuse, suivant ses moyens… Et puis l’on commence, on creuse. On creuse, on creuse, on s’enfonce dans la terre, il fait de plus en plus sombre. On avance à l’aveuglette, on se cogne à d’imprévus obstacles, qu’on doit s’efforcer de détruire, ou sinon de contourner. Mais on continue, on creuse, on sue, on est sale, on est très pâle cependant sous la crasse ; on continue, on vieillit. La barbe atteint le nombril, les cheveux les hanches.
Parfois, l’un d’entre nous bute, non pas sur un obstacle — les obstacles, on peut toujours les surmonter —, mais sur le trou lui-même, sur son trou. Lorsqu’un homme bute sur son trou, il n’y a plus grand-chose à faire : il reste là, dans l’obscurité totale, surpris, de plus en plus inquiet, jusqu’à la terreur ou jusqu’au désespoir. Certains s’entêtent inutilement, d’autres s’assoient et s’engloutissent, d’autres encore font demi-tour et, dussent-ils y mettre des années, font à rebours tout le chemin creusé, parcouru, jusqu’à l’origine du trou, à la surface, à l’air libre. Ils émergent et ils ont peur, ils ne voient presque rien, leurs yeux leur font terriblement mal, le soleil brûle irréversiblement leur peau fragilisée. Seuls les plus courageux, les plus forts, arrivent à s’en sortir, de la seule manière qui soit : ils entament un nouveau trou.