Journal du conteur

Grâce à mes nombreux petits bras…

Grâce à mes nombreux petits bras, mous et gluants, je peux ramper, mais très lentement. Grâce à ma cavité buccale, je peux sucer et filtrer la boue des flaques, l’eau croupie des mares ; parfois la pluie me désaltère. Il m’est difficile de me déplacer, et très long de me nourrir. Je me suis donc fait poisson : je me suis traîné jusqu’au bout d’une falaise, et de là je me suis laissé tomber dans la mer. Je m’y laisse porter par les vagues et les courants, je passe mes journées à filtrer l’eau. Et je fonctionne, maintenant, à plein régime ; je grossis. Je filtre les déchets, les impuretés ; je les retiens, les digère, me les incorpore, me les fais charpente et parois renforcées. J’ai certes abandonné toute velléité de maîtriser mon déplacement, mais je nage en pleine félicité. Mes petits bras s’atrophient, je n’en ai plus besoin. Ma vue de même, mon ouïe, mon odorat. Je vais bientôt me taire. Voici ma dernière phrase : je vais digérer mon système nerveux, je n’en ai plus besoin non plus.

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