Journal du conteur

Ils vivent, nus, sur une grande plage…

Ils vivent, nus, sur une grande plage où ils s’enterrent. Ils creusent des trous juste assez larges pour abriter un seul corps, juste assez profonds pour laisser affleurer le regard. La journée, les hommes travaillent, ils pêchent craintivement, ils creusent et consolident les trous ; comme une colonie de pingouins ils se serrent les uns contre les autres pour se tenir chaud, ou, si le temps le permet, s’activent sur leur grève, disputent aux oiseaux leurs œufs et chantent pour engourdir les prédateurs. Quand la nuit tombe, ils s’enfoncent chacun dans son trou, et, une par une, en cillant, leurs milliers de paires d’yeux se lèvent sur les étoiles qui apparaissent. Les hommes ont tu leurs grognements, ils se tiennent immobiles, fascinés ils laissent couler dans leurs pupilles agrandies la lumière des étoiles. Les astres font briller ces yeux levés pendant plusieurs heures dans le silence du vent et des vagues, avant qu’au fil de la nuit, paire après paire, lentement les yeux se ferment et s’éteignent. Jusqu’à l’aurore jamais lointaine l’ombre règne alors sur le monde entier, cette grande plage criblée de trous où se maintient la petite humanité — quelques dizaines de milliers d’individus —, toujours au bord de l’extinction.

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