Journal du conteur

Je marche, m’éloigne, me perds…

Je marche, m’éloigne, me perds ; j’ai sans cesse l’impression d’être sur le point d’arriver au but, bien que de ce but j’ignore le lieu.

À chaque carrefour, à chaque tournant, à chaque fois qu’un bosquet masque le chemin, je me dis : de quelque côté, derrière ce virage, derrière ce bosquet… il va apparaître. Je vais y entrer. Ils seront tous là. Je ne les connais pas : je les reconnaîtrai. Ils seront les miens, je serai des leurs. Derrière moi j’entendrai les portes se refermer. Je me retournerai : il n’y aura plus de porte. Je ne quitterai plus le lieu de la communauté, ma communauté nouvelle et destinale.

Cela je le pense en marchant, encore et toujours marchant, continuant, toujours m’éloignant, me perdant ; mais les tournants succèdent aux carrefours, les bosquets aux tournants, et le lieu n’apparaît pas. Pas de porte ouverte, pas de miracle. Je finis par rentrer chez moi, je me rends compte avec une surprise amère que le chemin a fait une boucle.

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