Journal du conteur

C’est un petit bonhomme…

C’est un petit bonhomme, sans bras. Il est rougeâtre, se découpe de manière tranchante sur l’arrière-plan du mur blanc. Il arrête les passants de son regard impérieux et leur réclame de l’argent. À ceux qui ne compatissent pas à son malheur, il fait son tour : une sorte de danse, ou de transe, faite de bondissements accompagnés de cris effrayants et de jurons ou d’imprécations dans une langue inconnue de tous ici. Bien que sans bras et d’un certain âge, il est d’une grande adresse, qui impressionne ; on lui donne finalement beaucoup, déposé dans un petit récipient contre le mur. Il vous remercie d’un regard hautain, qui vous fait fuir ; et tout en s’éloignant rapidement de lui, avec l’espoir de ne pas le rencontrer là le lendemain, ni jamais, on se demande ce qu’il peut bien faire le soir venu, puisqu’il ne peut ni dormir là ni ramasser lui-même son magot avant de rentrer chez lui. Quelque esclavagiste des temps modernes, se dit-on, doit venir le récupérer, et s’emparer de la plus grande partie du butin avant de le nourrir à la cuillère, ou pire, de lui laisser aspirer à grand bruit son assiette de pitoyable soupe. Le lendemain, on évite de pouvoir vérifier son absence espérée, on change de chemin même si cela rallonge le trajet.

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