Journal du conteur

L’homme des terres

L’homme des terres arrive, on le voit de loin en terrain plat, il émerge de l’horizon et vient lentement par ici. Ses vêtements grossiers, qui le protègent bien du froid, l’empêchent d’avancer aussi vite que nous, mais nous ralentissons notre marche pour l’attendre ; j’ai même été envoyé à sa rencontre, comme éclaireur, pour l’accueillir et le guider. Qui est-il ? Nul ne le sait. De temps en temps on le voit apparaître et il passe quelques jours avec nous. Sa présence rayonnante nous fait tellement de bien — comme certainement aux autres tribus qu’il rencontre — que nous l’accueillons volontiers parmi nous aussi longtemps qu’il le désire, quand bien même il ne participe que médiocrement aux tâches nécessaires de notre quotidien : il chasse mal, il ne court pas ; en revanche il cuisine correctement. Il plaît aux femmes, mais nous ne lui connaissons aucune aventure avec l’une des nôtres ; avec elles aussi, même les plus belles, il reste distant. Il comprend mal notre langue (mais il a l’air de les comprendre un peu toutes), et parle à peine, mais sa poigne est douce et ferme à la fois, faite pour séduire tout le monde. Peut-être n’est-ce qu’une sorte de mendiant, perpétuellement errant sur le territoire, de tribu en tribu, échangeant contre nourriture sa compagnie réjouissante. Le voilà tout près ; avec tristesse, avec consternation même je remarque qu’il a désormais quelques cheveux blancs.

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