L’homme qui veut fonder une ville…
L’homme qui veut fonder une ville s’arrête au terrain favorable auquel sa quête — parfois celle de toute une vie — l’a mené. Là, il s’immobilise, et au bout d’un certain temps ses racines intérieures se retournent et se dirigent vers les profondeurs de la terre. La ville et les racines grandissent en s’opposant symétriquement autour du fondateur. Bientôt recouvert de branches et de feuilles, de pierres, situé au centre d’un inextricable labyrinthe, d’une jungle de ruelles et d’impasses, le fondateur n’est plus visible, il est peu à peu oublié. Il continue pourtant à vivre, une sorte de vie primitive, végétative ; à travers les murs il sent la ville grandir autour de lui, s’élever bien au-dessus du niveau du sol dans lequel il est à moitié enterré. Quand les hommes, bien des générations plus tard, à force de creuser toujours plus profond leurs trous (les trous où ils s’enterrent pour se protéger de la ville devenue inhabitable), atteignent les racines de la ville, d’abord ils les confondent avec des racines quelconques — sinon leur profondeur, rien ne les en distingue. Il leur faut encore beaucoup de temps, de trous creusés, pour qu’ils prennent conscience de ce qu’ils ont trouvé. Mais une fois la découverte faite et proclamée, les hommes, qui avaient perdu l’espoir d’un endroit où vivre, le retrouvent. En peu de temps toute la communauté s’installe entre les racines, redoublant leur réseau d’un vaste réseau de tunnels reliant les trous agrandis. C’est là, dans le réconfort des racines, qu’on vit désormais.