Le coup tombe…
Le coup tombe. La douleur le prend par surprise, comme s’il se rendait compte de son corps, voire de son existence, pour la première fois. D’abord il sursaute. Il cherche des yeux quelqu’un à qui montrer son corps et sa douleur, comme si c’était un vêtement, une tâche sur un vêtement qu’il voulait montrer. Puis, quand après une brève accalmie angoissante, la douleur redevient insupportable, il commence à se débattre. Il est habitué à la gêne, il est habitué à se battre contre les autres, mais contre cet ennemi invisible et si puissant, il est démuni ; il en est réduit à se frapper lui-même, à se jeter, se fracasser contre les parois, contre les arbres. Heureusement qu’il n’est pas au bord d’un précipice. Il faut qu’il s’assomme presque pour trouver quelque repos.
Quand la douleur se réveille, il n’a déjà plus la force de lutter, et le sait ; elle le trouve dans la cachette obscure où il s’est traîné, à l’écart des yeux et des oreilles, prostré, gémissant ; par instants un cri lui échappe, un mouvement réflexe l’agite encore, mais il ne se lève plus. Il inspecte cette douleur, de tous ses sens, il la circonscrit, essaye pour la première fois de la comprendre ; il découvre le goût de son propre sang, étrangement semblable à celui de ses proies. Enfin, comme effet secondaire de sa recherche, il découvre soudain que sa douleur lui présente un miroir — c’est par hasard qu’il a posé les yeux dessus —, un miroir intérieur dans lequel, au sein d’un monde soudain brisé en infinis détails, il se devine, composé de ces mêmes détails indiscernés, et se reconnaît pour la première fois — trop tard. Curieux comme jamais, pour distinguer les détails dans la pénombre croissante, il plisse les yeux de plus en plus étroitement.