Journal du conteur

Le défouloir

C’est un immeuble immense, à la porte duquel se presse une foule dense et trépignante. On se pousse, on se bouscule ; tout le monde est très énervé, très agressif. Heureusement il y a là de nombreux vigiles, qui font respecter la loi, ou du moins la décence. On finit par arriver au guichet, où l’on achète, suivant ses moyens, un sac de sable, un vieux mannequin de plumes, une malle de souvenirs, une grande armoire à vaisselle, une vieille voiture… Les plus riches peuvent même se payer un étage entier. On se rend là où l’indique le précieux ticket, et, passé les dernières formalités, on pousse la porte de son défouloir. On entre dans cette pièce spécialement préparée pour l’occasion, où l’on peut tout détruire sauf les murs. Il y en a pour tous les goûts, toutes les colères, toutes les vengeances, tous les sadismes. On tape, on saccage, on hurle, on exulte, puis l’on se repose, et lorsqu’on sort, c’est rasséréné, affable, presque purifié.

127