Journal du conteur

J’étais sur le point de sauter par la fenêtre…

J’étais sur le point de sauter par la fenêtre, de rage, de désespoir, quand les portes éclatèrent. Les lumières s’éteignirent mais j’eus le temps de voir plusieurs de ces haïs collègues la tête empalée d’éclats de bois.

Les coups de feu commencèrent avant même que la peur me prenne. Immobile, paralysé, à la lumière des viseurs infrarouges et des balles traçantes je voyais les corps exploser, s’effondrer. Le bruit des coups de feu submergeait les cris. J’étais encore indemne. Terrifié, mais curieusement pressentant que je ne mourrais pas ce jour. Enfin le silence se fit. Je ne le sus que plus tard, mais dès ce moment, tous les autres étaient morts, les blessés achevés. Un homme, en tenue noire, une arme automatique à la main, viseur éteint (je le remarquai tout de suite), lunettes de vision nocturne relevées sur le crâne, sourire aux lèvres, vint devant moi. Il me tendit la main et, après un infime instant d’hésitation, je la serrai décidément, de toutes mes forces, d’un geste avide, le geste d’un homme qui tombe et qui se raccroche à n’importe quoi. Ce n’était pas n’importe quoi. Il dit :

— Cette fois c’était moins une. D’où les grands moyens. On ne t’aurait pas laissé tomber. Ça fait longtemps qu’on t’a repéré. On t’a suivi de loin en loin, puis de plus en plus précisément, ces dernières années, à mesure que ton évolution répondait à notre attente. Maintenant tu comptes pour nous… (Il montra les cadavres dans la pénombre d’un geste circulaire du bras.) Eux, ils n’ont aucune importance pour nous… ils sont tous semblables, interchangeables… Trente ou quarante de plus ou de moins… Suis-nous.

— C’est définitif… c’est pour toujours ?

— Et c’est maintenant. Rassure-toi, nous sommes passés chez toi, prendre tout ce dont tu auras besoin.

Au milieu des cadavres, du chaos des tables renversées, des impacts de balles, dans la pénombre enfumée, je le suivis. Enfin, c’était l’Élection.

128