Journal du conteur

Le retour

Il ne pouvait pas s’abaisser : il n’était pas monté jusqu’à l’humilité (peut-être n’avait-il même pas atteint l’assomption). Dans l’état inférieur où il demeurait, il aurait disparu dans la terre : malgré ses efforts, il n’avait pas quitté le ras du sol, seuls l’orgueil et l’ambition le tenaient dressé, la tête levée, les yeux ouverts.

Maintenant qu’il a suffisamment grandi, que son regard a dépassé la pointe des herbes et qu’il a contemplé le lointain et la hauteur libre, il peut revenir : il s’assoit dans l’herbe et se laisse rapetisser. Il se vide, se dégonfle. De temps en temps il s’allonge, il enfonce ses mains dans la terre, offre son visage à la rosée. Du regard, il adresse un adieu à ces hauteurs qu’il abandonne pour toujours, sans les oublier. Il retire ses vêtements, devenus trop grands, et s’enduit tout entier de la terre humide. Il n’a pas grand-chose d’autre à faire pendant la décroissance, il attend, patiemment, il songe, c’est le temps de l’oisiveté.

Il commence à vivre quand il a trouvé ou retrouvé son minimum. S’il y est parvenu, il rejoint ses pairs. Auprès d’eux, il apprendra les ruses qu’il faut déployer pour mener le monde et sa vie au milieu des géants, risibles et dangereux, qui pullulent encore.

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