Sa mort est là, très proche…
Sa mort est là, très proche ; et, à côté de sa mort, sa vie ; sa vie non telle qu’il l’a vécue — car celle-ci l’a mené à sa mort, petite et noire — mais telle qu’il n’a pas cessé de la rêver : elle est grande et lumineuse, le destin lui est prodigue, elle est sur le chemin de l’accomplissement. Tandis qu’il n’a pas cessé, ces cinquante dernières années, de rétrécir, de se rabougrir, sa vie rêvée n’a fait que grandir. Un abîme s’est creusé entre la vie et son image. Ce soir l’abîme sera résorbé : le mourant plongera dedans, lui petit et noir comme sa mort, noir comme l’abîme, au bord duquel, là-haut, une dernière fois il regardera sa vie. Pour la première fois, il ne la verra pas, comme d’habitude, debout de dos, affirmée, la tête fermement dressée, le regard deviné posé fièrement sur le lointain ; ce soir, sa vie sera assise au bord de l’abîme, elle le regardera dans les yeux, tristement, les bras ballants, les jambes pendantes, dans la pénombre elle ne brillera plus qu’à peine, sa taille sera banalement humaine, côte à côte alors il ne lui arriverait pourtant pas à l’épaule.