Journal du conteur

Mains

Dans son désir de concentration, son désir du minimum, il en vient à souhaiter ne plus devoir se lever pour aller chercher les choses, aller vers les gens. « Perte de temps, se dit-il, et de concentration : je veux que tout vienne à moi au besoin, je veux tout et tous à portée de main. » Il s’organise : il se met au centre de son espace, et autour de lui, une à une, il concentre les choses. Il est de moins en moins obligé de se lever et ses jambes raccourcissent. Mais les choses ne sont pas encore assez près car plus il a de choses à portée de main, moins ses mains portent loin. Dans un dernier effort il rapproche encore les choses : il est entouré, surplombé comme par une cloche de toutes les choses dont il pourrait avoir besoin, envie, une fois ; il n’a plus à bouger, plus de jambes ; il n’a plus qu’à tendre la main. Mais il n’a plus de mains pour le faire. Dans son lit moelleux au centre du monde, il s’endort. Quelques-uns veulent le tirer de là, mais seules leurs voix peuvent traverser le mur de choses qui l’entoure. Il se réveille. Des mains se tendent vers lui dans les interstices, qu’il ne peut pas saisir. Avant de recouvrer ses mains il lui faut retrouver ses jambes, se lever malgré l’exiguïté de l’espace qu’il s’est accordé ; alors il peut écarter les choses, sortir, rejoindre les êtres et prendre, une à une, les choses à revers, et les remettre chacune à sa nécessaire distance, là seulement où, au bout d’une quête souvent petite et jamais trop longue, il veut et peut les saisir.

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