« Nous voulons vivre ensemble » clament-ils…
« Nous voulons vivre ensemble » clament-ils à l’unisson. On leur donne un bout de terre, et, de là où ils sont venus s’affirmer tous ensemble, ils partent vers le lieu de leur nouvelle vie. Ils partent en chantant, sans impatience, pleins de courage, de détermination. Mais au fil du temps des différences de vitesse apparaissent entre eux : certains avancent plus vite que d’autres ; certains sont plus pressés d’arriver ; certains ont besoin de plus de repos, certains ont besoin de s’arrêter un moment, parce qu’ils sont épuisés, ou malades ; certains meurent ou sont mourants et ne peuvent pas continuer, n’atteindront jamais la terre offerte, et il faut s’arrêter pour les veiller (ou du moins les achever), puis les enterrer — le temps est passé où l’on pouvait simplement les abandonner, pressés par la survie des plus aptes — ils veulent plus que cela, c’est ainsi qu’ils sont venus se déterminer. Comment faire, désormais que leur groupe est une longue, longue file qui menace de plus en plus de se pointiller ? Vont-ils se résigner à l’éparpillement ? En tout cas, là où ils se sont arrêtés, quelles qu’en soient les raisons, certains vont s’installer, peut-être las de poursuivre, peut-être satisfaits de l’endroit. C’est toute une suite de communautés qui se créent, un archipel au lieu de l’île d’abord envisagée. Ceux qui ont atteint la terre allouée ne sont pas différents, eux aussi ne forment plus qu’une communauté parmi les autres, pas plus importante même symboliquement ; eux aussi oublient rapidement où ils sont — le lieu lui-même étant quelconque — et deviennent une banale maille du tissu de relations qui, entre tous ces îlots ainsi qu’entre eux et leurs voisins, va rapidement s’étendre, entérinant une séparation dès lors irrémédiable jusqu’au prochain rappel de la communauté.