Journal du conteur

Rongé par une culpabilité sans fond…

Rongé par une culpabilité sans fond, il s’accusait de tous les maux du monde. Vous aviez un tort ? Il s’en chargeait ! Inutile même de le demander, il voyait dans vos yeux toutes vos fautes, et s’en rendait responsable en lamentations perpétuelles. À force d’être ainsi innocenté, le monde finit par se croire réellement innocent, et à mépriser de moins en moins discrètement, de plus en plus officiellement ce pécheur infini. Mais l’homme ne s’en rendait pas compte : il ajoutait le péché d’orgueil à ses fautes, sans sentir la différence. Aurait-on voulu le condamner, le punir, qu’on n’en aurait pas trouvé le moyen. Les passants lui tapaient familièrement dans le dos, seuls les plus vieux sentaient poindre une angoisse en eux : qu’allons-nous devenir quand son tour viendra ? se demandaient-ils, et ils pensaient aux montagnes de fautes qu’il faudrait répartir équitablement sur le monde. Chacun son dû… mais comment l’évaluer ? Les propriétaires ne se presseraient pas de se faire connaître. Il faudrait certainement en venir à une sorte de tirage au sort, une grande loterie des méfaits, et tant pis pour les injustices, dont de toute façon les plus graves ne seraient sans doute pas les plus nombreuses. À chacun sa bonne part de fautes, et qu’il s’en débrouille désormais, sans autre comptable que le miroir.

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