L’épidémie de martyrs continuait…
L’épidémie de martyrs continuait, on trouvait des croix à tous les carrefours, si bien qu’on n’avait plus besoin de regarder les panneaux indicateurs : pour qu’on le remarque mieux, qu’on lui prête attention, le crucifié était toujours prêt à devancer la perplexité du voyageur et à le renseigner, même s’il ne demandait rien. Certains avaient même, avant de monter là-haut, caché les panneaux, pour être sûrs qu’on ne pourrait se passer d’eux. Les plus téméraires passaient vraiment les nuits sur leur croix, mais la plupart, dès la nuit tombée, descendaient dormir dans leur cabane cachée dans les fourrés, pour ne remonter qu’à l’aube… et parfois trouver leur croix occupée par un autre ! Ils se battaient alors pour la croix, sous le regard amusé des voyageurs qui s’amassaient peu à peu pour former une foule de spectateurs goguenards. Et malgré tout, on ne pouvait s’empêcher d’éprouver du respect et de la pitié pour le crucifié qu’on trouvait au prochain carrefour, surtout s’il jouait bien son rôle ; on ne pouvait s’empêcher de le plaindre, de mettre à manger dans ses mains (sans pourtant ignorer que le rouge qu’on y voyait n’était sans doute que du jus de tomates) ; et même, s’il le réclamait avec le bon regard, on acceptait de l’absoudre et de le pardonner, bien qu’on ne s’en reconnaisse pas ou du moins qu’on ne s’en sente guère l’autorité.