Journal du conteur

Tout le poids de l’homme…

Tout le poids de l’homme est dans sa tête, et surtout dans son visage. Et, à mesure que l’homme grandit puis vieillit, ce poids ne fait que croître. C’est pourquoi, au fil du temps, l’homme rapetisse : sa tête, devenue trop lourde, s’enfonce dans son cou. Bloquée par les clavicules, elle continue de peser, de pousser. Elle écarte les os, les déforme, et s’enfonce encore. Elle écrase le cœur, comprime les poumons, et met l’homme à l’agonie. C’est alors qu’il tombe en avant. Aussitôt la trop lourde tête s’échappe de son nouvel orifice et vient frapper le sol, face contre terre. L’homme ne peut plus se relever. Tant qu’il en a la force, il continue de vivre et d’avancer dans cette posture, à quatre pattes et à reculons, tirant derrière lui son fardeau de tête. Puis, quand l’homme ne peut plus, épuisé, supporter cette démarche harassante, il s’allonge. Ses dernières années le voient ramper, de moins en moins vite, de moins en moins loin, jusqu’à l’immobilité complète. Sa tête alors, toujours de plus en plus lourde, et pesant toujours au même endroit, commence à s’enfoncer dans le sol. C’est le signe de la mort proche : les cadavres s’enterrent eux-mêmes et s’enfoncent vers le centre de la terre pour la grande réunification.

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