Journal du conteur

Un enclos a été dressé…

Un enclos a été dressé. Quelques hommes s’y tiennent, serrés les uns contre les autres, le plus loin possible des barrières. Ils ne s’écartent les uns des autres que sous le fouet des contremaîtres, qui les désignent et les envoient au travail. Le travail consiste à recopier les livres de la vérité. Pour cela il faut évidemment la lire et la relire : il n’est donc pas impossible, sans s’en rendre compte, de l’assimiler, toute méfiance annulée par les coups et les cris des contremaîtres. Les plus intelligents des scribes s’étonnent même qu’on les autorise à poser leurs yeux sur ces textes sacrés. Ils pensent qu’on ne les croit pas assez intelligents pour qu’ils puissent en profiter, et ils redoublent d’efforts pour acquérir la connaissance dont ils se découvrent capables. Ceux qui sont ainsi devenus savants croient cacher hypocritement leur nouveau savoir derrière le masque de la servilité la plus docile, mais les contremaîtres ne s’y trompent pas, eux qui ont été en leur temps les meilleurs des scribes, avant de passer de l’autre côté de la barrière et de fouetter leurs anciens pairs sans remords. De leur lointaine retraite, les maîtres surveillent le chantier et veillent à l’équilibre des travailleurs et des contremaîtres, auxquels ils apportent, de loin en loin, le visage masqué, les nouveaux et longs articles de la vérité à recopier pour leur seul usage en échange des copies qu’ils emportent.

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