Journal du conteur

Un suicide

Il arrive quand le jour se lève. Il fait encore un peu froid mais il a de la chance : le ciel est bleu, la journée va être belle ; à midi il fera trop chaud pour qu’il ne retire pas ses vêtements d’hiver.

La chaise longue publique est là, elle n’a pas bougé depuis la veille au soir, personne n’y a touché. Quelques autres ont été dérangées, un peu plus loin sur sa droite, mais la sienne, celle qu’il s’est appropriée au fil des mois, à l’extrême bord de la jetée, il est rare que quelqu’un d’autre que lui la bouge ; et comme lui-même la bouge peu, elle va bientôt s’enraciner dans les pavés, y imprimer la quadruple empreinte de ses pieds métalliques.

Il déplie sa couverture, la dispose sur la chaise, et peut s’allonger. Mais ce matin il marche un peu, le long de la jetée, navigue entre les chaises, s’arrête par moments pour sonder des yeux la profondeur des eaux du fleuve.

Le voilà de retour devant sa chaise : cette fois il s’y installe. Entre temps le jour s’est bien levé, le soleil resplendit au-dessus de l’horizon dans son dos, l’horizon qui s’étire à la lisière de la ville, de l’autre côté du fleuve. Il s’installe, et sa journée, sa vraie journée commence enfin. Journée d’effort, de concentration.

Demain sera sans doute identique, et tous les jours suivants qu’il y faudra.

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