Journal du conteur

À la recherche des Géants

Les images ne me suffisaient pas : j’avais voulu observer les Géants, les voir de près, les rencontrer, leur parler. Je grimpai à leur recherche. Au bout d’une dernière et rude montée, j’arrivai bientôt chez eux et ne tardai pas à en croiser quelques-uns : il ne me fallut alors qu’un instant et un seul coup d’œil pour que je dusse admettre déçus, brutalement déçus mes espoirs. Ils étaient grands, certes, deux à quatre fois ma taille (ma taille petite), mais d’une grandeur vulgaire, vile, fortuite, lourde, effrayante et même repoussante. Je ne trouvai rien à admirer en eux. Dès qu’ils m’eurent aperçu, ils se ruèrent sur moi. Méfiants et durs, ils m’accablèrent de questions. J’usai de toute mon éloquence balbutiante pour les détromper : non, je ne venais pas les voler ni les espionner. Ils se rendirent à l’évidence que ma seule stature aurait dû leur suggérer. Alors, aussitôt détendus, ils commencèrent à se moquer de moi. Je voulus partir et les saluai. En deux enjambées ils me rattrapaient, m’arrachaient de terre, me tenaient en l’air par les bras entre deux doigts, baissaient mon pantalon. Dès que mon sexe apparut ils éclatèrent de rire, rivalisant de gestes et de paroles d’humiliation grossiers et obscènes. Je les laissai faire comme mort, comme indifférent, espérant seulement qu’ils me laissent partir. Ils se lassèrent vite et me lâchèrent, m’abandonnèrent, s’en retournèrent sans un mot, sans un regard pour l’insecte auquel ils étaient déjà bons de laisser la vie et a fortiori l’intégrité physique. Rhabillé, mal rajusté, je partis. Je ne fuyais pas, incapable de courir. Hébété, je suivais le chemin du retour comme un automate. Atteignant le cirque que j’avais traversé à l’aller, je vis, je reconnus les montagnes que j’avais à peine aperçues dans le crépuscule de l’aube, et cette vision me frappa. Ils étaient là, les vrais géants ! Ni puérils ni cruels, n’usant qu’indistinctement de leurs forces combien plus colossales, périlleux mais tranquilles, ils représentaient, je m’en rendais subitement compte, ce que j’avais vainement espéré trouver chez les géants vivants. Je les contemplai un moment, admirai les courbes de leurs strates visibles, leur puissance géologique majestueuse et ancienne, rassurante. Leur grandeur ne m’écrasait pas. Elle semblait bonhomme. Ou souveraine sans mépris, comme nous les terrestres pouvons l’être à l’égard d’une fourmi, d’un escargot qu’on prend soin de ne pas écraser, ainsi qu’on l’apprend aux enfants. Je me reposai quelques heures contre leurs flancs moussus, blotti dans leur puissance enveloppante, puis repartis, réconforté. Longtemps je marchai à l’abri de leur ombre immense ; jusqu’à la forêt, où les arbres, autres vrais géants, géants mineurs, les relayèrent pour me raccompagner.

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