Journal du conteur

Arrivé au carrefour, et cherchant…

Arrivé au carrefour, et cherchant comme toujours son chemin, il scrute les commencements, les portions visibles des différentes voies qui en rayonnent. Souvent, assez vite, il croit deviner ou reconnaître celle à suivre ; mais en l’absence habituelle d’une certitude et même seulement d’une confiance suffisante, sa tentation, presque son réflexe, est d’essayer toutes les autres voies, une par une, pour s’assurer, négativement, que son intuition était correcte ou son souvenir précis. Pourquoi procéder ainsi ? Ne serait-il pas rationnel de tenter d’abord sa chance là où il la croit la meilleure ? Pourtant c’est presque toujours de cette manière qu’il agit, à quelque carrefour qu’il parvienne ; il élimine une à une les moindres possibilités jusqu’à la dernière, alors il se trouve, juste avant d’y entrer, devant la certitude : soit il s’agira de cette voie, la dernière, soit d’aucune ; soit le chemin continue par là, soit il n’y a plus de chemin. C’est cet instant qu’il cherche, le frisson tranquille, voire la sérénité de cet instant simple, de cet instant binaire, où il va enfin et clairement, comme à pile ou face, comme à quitte ou double, au bout de quelques pas, savoir : confirmation ou condamnation. Mais cet instant, il le redoute aussi, il le redoute tant qu’il le retarde expressément, en explorant, en poursuivant souvent les voies sûrement trompeuses au-delà de tout doute raisonnable. Aussi quand enfin il se tient devant la certitude, prêt à l’accueillir, et même s’il n’a pas encore été gravement déçu, si seuls quelques bifurcations et de rares demi-tours ont été nécessaires au fil de ces années, sans le repousser trop loin encore pour qu’il ne puisse se permettre ces détours, c’est avec une certaine lassitude, un enthousiasme affaibli qu’il reçoit cette certitude et, positive, la savoure, jamais aussi pleinement que, moins prudent, moins timoré, il le pourrait.

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