Journal du conteur

Au fond du lac…

Au fond du lac, il ne restait plus que deux poissons, tous les autres avaient été pêchés pour être mangés par les habitants du village voisin, au nombre toujours croissant. Le pêcheur, qui était là sans prise depuis plusieurs semaines, venait de repérer les deux poissons : il savait que c’étaient les derniers, il savait que les pêcher n’empêcherait pas la famine de continuer, il savait que les laisser vivre permettrait peut-être aux descendants d’éventuels villageois survivants de bénéficier d’une source renouvelée de nourriture — il était parfaitement conscient de toutes les bonnes raisons de ne pas pêcher ces deux poissons, mais il les pêcha quand même, les fit griller, et les mangea. Il y en avait trop pour son estomac rétréci par la famine des dernières semaines, mais il n’avait personne avec qui partager ce repas, sa femme et ses enfants étaient déjà morts de faim. Maintenant qu’il n’avait plus rien à faire, il déposa ses cannes, s’allongea auprès de la braise, dans l’attente d’un miracle, rejoint au fil des jours par les derniers affamés.

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