Journal du conteur

J’entrai à l’improviste…

J’entrai à l’improviste, mais ne les surpris pas. Ils me jetèrent un regard qui m’intimait de me taire, et je compris que je les dérangeais. Ils avançaient à petits pas, courbés, le nez en avant, l’œil acéré, ils avaient l’air de chercher quelque chose, en reniflant, dans tous les coins de la pièce, sous les fauteuils, sous les bibelots, derrière les tableaux et les armoires, quelqu’un souleva même le tapis et inspecta consciencieusement le parquet. Ils vaquaient chacun dans un coin, comme s’ils s’étaient répartis les aires de recherche, mais peu à peu, je m’en rendais compte avec un malaise croissant, ils convergeaient vers moi. J’étais resté sur le pas de la porte, j’avais avancé juste assez pour la refermer. Maintenant ils me faisaient face, tous les quatre (ou cinq, je ne suis pas sûr). L’oncle, qui était le plus âgé, dit alors : « C’est là, c’est de là que ça vient. » Et ils me fixaient du regard avec suspicion. Pris d’une peur sourde et froide je dis que ça pouvait être venu de dehors avec moi, quand j’avais ouvert la porte. « Non, rétorqua l’oncle, c’est là, nous l’attendions, c’est arrivé. » Ils s’étaient encore rapprochés, et leurs mains commencèrent à tâter mes manches. Ils me touchaient, me caressaient. « Isolons-le, dit l’oncle, que chacun en prenne sa part. » Et ils m’embrassèrent tous en même temps, me serrant dans leurs bras qui voulaient se faire caressants mais dont l’emprise était bien trop ferme pour faire illusion. J’étais sur le point de crier que je manquais d’air quand ils commencèrent à desserrer leur étreinte, très doucement, et à s’écarter, un à un. Dès qu’ils m’eurent laissé assez d’espace pour le faire, j’ouvris la porte et m’enfuis.

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