Journal du conteur

C’est lui qui, dans sa jeunesse, a fondé l’exploitation…

C’est lui qui, dans sa jeunesse, a fondé l’exploitation. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, le vieil homme qu’il est devenu se balade, toujours actif, dans les vergers prospères. Plusieurs de ses petits-enfants sont avec lui. Il cueille des poires tout juste mûres, les essuie et les tend aux enfants, qui croquent dedans avec avidité, et s’en régalent. « Et toi grand-père, tu n’en prends pas ? », dit l’un d’entre eux. « Non, répond d’une voix allègre le vieil homme : je ne mange pas mes propres fruits. — Jamais ? — Jamais, depuis bientôt quarante ans. Je les sélectionne, les cultive, les veille et les protège, les attends, les cueille, les échange, les vends, les donne, mais je ne les mange pas ; j’y ai renoncé. L’arbre ne mange pas ses fruits ! » Et dans un sourire, il écarte ses mains, les ouvre paume vers le haut, comme pour signifier qu’il n’y peut rien, que c’est ainsi : ils ne sont pas pour lui.

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