Il couve sa vie…
Il couve sa vie, le précieux œuf de sa vie. C’est un œuf à peu près gros comme une tête ; il le tient entre ses jambes, et se penche sur lui jusqu’à l’entourer de toute la chaleur de son corps. Il n’omet rien, le caresse, le retourne régulièrement, lui parle, lui fredonne des mélodies. Parfois même il donne, du bout d’un doigt, de petits coups, très légers, sur la coquille, pour faire advenir un événement, créer peut-être une autre sorte de contact, donner un signe. Il attend, il espère une réponse. Mais l’œuf demeure immobile et silencieux.
Parfois l’homme voudrait se lever, se dégourdir les jambes, ou partir pour de bon. Il en est empêché : l’œuf est là, sur ses genoux ; il ne peut prendre le risque de le transporter. S’il trébuchait ? Alors il reste à couver sa vie, parfois mélancolique… Il ne peut rien faire d’autre, il n’a qu’à rester assis, à attendre l’éclosion de sa vie.
Ainsi, les années passent.
Et quand l’œuf, enfin, se fendille, quand enfin la vie le perfore, s’en extirpe, l’homme, qui n’avait jamais bougé, qui avait passé toute sa vie assis à la couver, est froid, desséché, vide, mort depuis longtemps.