Il est allé au bout…
Il est allé au bout, il s’y est établi, il a passé sa vie à explorer les plus infimes recoins de cette pointe, et maintenant qu’il est mort cette position ultime est occupée par sa statue. Il fallait que quelqu’un, un jour, le fasse. Un seul suffisait ; maintenant que ç’a été fait, et que la position est tenue et bien tenue, les autres sont libérés de cette exigence qui a épuisé tant d’énergie en vain auparavant, et peuvent se concentrer sur leurs cheminements singuliers. Dans cette progression, sa statue leur est une vigie : dès qu’ils faiblissent, il leur suffit de tourner la tête vers ce terme où on en devine la silhouette pour avoir honte, et reprendre leurs efforts : ils doivent aller aussi loin que possible sans suivre son chemin, du moins pas jusqu’au bout, jusqu’au-delà du moment où ce chemin se sépare de tous les autres et file tout droit au bout. À ce carrefour, on s’arrête une fois, on essaye de distinguer, de loin, les détails de la statue. De temps en temps un courageux s’en approche un instant, le temps de couper respectueusement les mauvaises herbes, puis vite il s’en va. Il ne s’est encore trouvé personne pour vouloir abattre la statue et prendre sa place. D’ordinaire les pèlerins campent là quelque temps, et quand ils se sont convaincus de ce qu’ils ont vu, il ne leur reste plus qu’à faire demi-tour, à rentrer chez eux, dans le monde, où les chemins ne vont pas aussi loin ni aussi droit, mais où, pour cette raison, ils peuvent sinuer sans s’arrêter, à l’infini.