Il s’arrête, et se demande…
Il s’arrête, et se demande : qu’es-tu en train de faire ? Le désires-tu vraiment ? L’as-tu choisi ? En as-tu mesuré les probables conséquences ? Es-tu prêt à les assumer ? Non, non, non, non. Il rengaine son geste ; et observe attentivement, bouleversé, le changement visible qui, de proche en proche, depuis l’endroit où il s’apprêtait à agir jusqu’à l’horizon, dans tous les sens, se répand à la surface du monde, comme un vent chassant nuages et pluie, comme la lumière du soleil découvrant la terre. Personne d’autre, évidemment, ne le voit ; lui-même ne fait que redécouvrir le monde, altéré dans sa couleur au moins par le geste qu’il s’apprêtait à commettre. Le monde me remercie, se dit-il ; j’ai donc eu raison. Non, c’est plutôt mon regard seul qui me remercie, mais j’ai eu raison quand même. J’allais trancher aveuglément un trop grand nombre des fils qui tiennent en équilibre la situation, quand il faudrait les dénouer un par un, et, en attendant de les avoir rattachés à d’autres morceaux du monde, les tenir moi-même, les tordre ensemble comme une corde, tirer dessus plus ou moins fort jusqu’à trouver le nouvel équilibre, le centre de gravité entre d’un côté la situation et tous ses fils dans tous les sens sauf le mien, de l’autre côté moi, debout sur mes deux seules jambes, en contrepoids. Trouver la position dans laquelle une pichenette, un souffle suffirait à faire basculer la situation dans un sens ou dans l’autre, mais pas pour attendre que le hasard seul brise la symétrie, non, au contraire : pour que ma décision, réfléchie et mesurée, fasse le moment venu basculer la situation — alors convenablement préparée — en usant du moindre effort ; et donner ainsi l’impression que la situation a basculé toute seule.