Je suis dans un grand véhicule…
Je suis dans un grand véhicule de transport en commun, debout contre une tablette, et je discute avec mon frère tout en mangeant des céréales au lait dans un large bol rouge. Une fois déjà mon frère a fait tomber quelque chose, je n’ai pas vu quoi, et notre voisin, debout lui aussi mais de l’autre côté de la tablette, s’est baissé pour ramasser cette chose. Cette fois c’est moi qui par mégarde fais tomber un morceau de nourriture, la moitié d’un biscuit semble-t-il. Je veux me dépêcher de la ramasser pour ne pas importuner encore ce voisin de transport, mais il me devance, il se baisse véritablement avec précipitation, ramasse le demi biscuit, souffle dessus, et, sans plus de façon, le mange. Je suis très surpris, stupéfait ; pas en colère, je ne lui en veux pas, pas du tout, au contraire : c’est moi que je trouve impoli. Aussitôt, le regardant un instant dans les yeux, qu’il ne lève pas, puis désignant mon bol, je lui demande s’il en veut. Le jeune homme, toujours sans lever les yeux, sourit d’un sourire ambigu, peut-être avec quelque moquerie, voire quelque condescendance. Je me rends compte que j’ai parlé trop vite : je ne peux tout de même pas lui prêter ma cuillère, que j’ai déjà utilisée. Au comble de la gêne j’ébauche un « oui… » quand soudain une idée me vient, un espoir : je fouille dans mon sac à dos, et dans le sachet où j’ai l’habitude de transporter mes repas, je retrouve tout un jeu de couverts, dont une petite cuillère. Je la pose tête retournée sur le bol, pointe du manche sur la tablette vers l’homme, et je suis soulagé — plus que soulagé — parce que, même s’il ne me parle pas, ne me regarde pas, et même s’il continue ainsi, je sais qu’il va l’utiliser.