Journal du conteur

Ils étaient à cette époque les plus intelligents…

Ils étaient à cette époque les plus intelligents, c’est pour cela qu’ils ont été les seuls à percevoir l’homme en devenir dans ces petits primates arboricoles. Ils l’ont étudié, et ils ont pressenti en gros ce qu’il allait devenir et faire. Alors ils sont retournés à l’océan et sont devenus les cétacés. Cela n’a pas été facile, et un fémur vestigial chez certains d’entre eux témoigne encore d’une ancienne mais tenace impulsion. Mais ils l’ont fait. Quand ils émergent un instant pour respirer — car ils n’ont pas réussi à retrouver les branchies perdues trop longtemps auparavant — ils jettent un coup d’œil à la ronde, à la recherche des hommes. Leur curiosité à notre égard leur permet de constater de visu qu’ils ne se sont pas trompés ; la chasse même que nous leur donnons jusque sous les flots avère leurs craintes les plus pessimistes. S’ils avaient pu quitter la planète, ils l’auraient fait. Ou bien peut-être se sont-ils dit, encore plus philosophes que ce que nous font croire leurs regards et leur tranquille certitude apparente, tranquille jusqu’à la résignation, que cela n’aurait servi à rien : nous aurions fini par les rattraper.

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