Journal du conteur

J’arrive ; ici aussi les autres…

J’arrive ; ici aussi les autres se tiennent derrière eux-mêmes comme derrière une vitrine, comme dans une cage de verre ; j’arrive et aussitôt, sans doute à cause des reflets de la lumière que j’ai allumée, cette vitrine devient miroir. Au lieu de les voir clairement exposés en vitrine d’eux-mêmes, c’est moi-même que je vois en eux, mon reflet glissant sur eux à mesure que je me déplace à la recherche, vaine, d’un meilleur angle de vue. Je leur parle mais ne vois bouger que ma bouche et n’entends que mes paroles, dont l’écho presque instantané m’indique qu’elles ont rebondi.

Par instants, en surimpression, je crois en voir un qui s’approche, qui colle son nez à la vitre et qui observe ; je me précipite alors là où la vision m’est apparue, je me colle à la vitre à mon tour, espérant par là signifier ma présence pleine de bonne volonté, engager une communication. Mais je me rends compte immédiatement que les silhouettes, telles des ombres, s’agitent seulement dans le lointain. Serait-ce peur, mépris, indifférence qui les tiennent ainsi en retrait, à distance de moi et de mon approche ? Que puis-je faire ? Impulsivement j’éteins la lumière. Aussitôt la vitre-miroir disparaît. Dans le noir, aveuglé, je les entends s’approcher, je les sens tâtonner mon corps et mon visage, je tends les mains pour me saisir des leurs, ils guident mes mains vers leurs corps, que j’inspecte à mon tour, et nous nous reconnaissons.

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