Journal du conteur

Prométhée déchaîné

La douleur incessante a rendu fou Prométhée. Car si l’érosion, ou l’ingéniosité des hommes, a depuis longtemps détruit ses chaînes et libéré ses membres, rien n’a pu le délivrer de l’aigle quotidien : la bête s’est cachée dans le ventre même du titan, où elle engraisse. Rendu insensible à tout ce qui n’est pas son aiguillon, d’autant plus impatient de l’avenir qu’il a perdu son don de le prévoir et usurpe désormais son nom, Prométhée parcourt le monde et retourne contre les hommes le feu même qu’il leur avait donné, en les brûlant dans les forges qu’ils avaient fabriquées grâce à lui. Avant de se résoudre à lutter contre un immortel, avant d’essayer de le renchaîner, les hommes tentent de l’apaiser : ils lui envoient une épouse. Pourtant dure au sacrifice, elle ne parvient guère à le soulager. Il leur naît tout de même une fille, que la mère nomme Hortia. L’enfant elle seule, par sa simple existence, apaise le titan. Il oublie son aigle et découvre un jour qu’il a disparu ; il oublie les hommes et le feu, consacre désormais tous ses soins à l’enfant, en père émerveillé. C’est alors qu’on constate avec stupeur les premiers cheveux blancs sur sa tête. Prométhée vieillit. Il semble bien que son immortalité soit échue. Reste à savoir s’il l’a transmise à sa fille. Il est encore trop tôt pour cela.

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