Journal du conteur

Je ne sais plus si ce qui d’abord alerta mon attention…

Je ne sais plus si ce qui d’abord alerta mon attention fut le nuage de poussière ou le brouhaha. Le premier s’aperçoit de plus loin que ne s’entend le second, mais je marche habituellement les yeux baissés, isolé par un soliloque le plus souvent muet. Ce dont je me souviens, en revanche, c’est qu’à peine eus-je conscience d’une approche massive que j’essayai d’identifier sa cause. Vite ce fut évident : un groupe de congénères, une bande d’Homo sapiens, des terrestres en marche à mon encontre. Aussitôt, je cherche un détour ou une cachette, mais le chemin est droit et unique, le terrain plat et dégagé. M’écarter par les champs jaunes attirerait sur moi l’attention, à l’opposé de mon souhait pressant. Pas de meilleur choix : je me résigne à les croiser. C’est en moi-même, derrière mon visage, derrière un regard vague et une expression quelconque affectée, que j’essaye de me cacher. Ne pouvant, par un salut, un sourire, un hochement de tête, reconnaître même fugacement chacun d’eux pour mon prochain, je les ignore en espérant la réciproque.

Leur bavardage monte. Coups d’œil que je n’ai pas su ne pas hasarder ; quelques regards croisés, inexpressifs. Et déjà plus que leur sillage de poussière sonore.

Quand, quelques heures plus tard, je croise un autre marcheur solitaire, je le salue et lui souris avec plaisir. Par mon pas ralenti, mon regard amène, l’angle de mon profil, je l’incite à s’arrêter pour bavarder. Négligeant cette occasion tendue, il se borne, avec une politesse visiblement contrainte, à me rendre mon salut, d’un seul coup d’œil et d’une voix sourde. Légère déception, qui sera vite oubliée. Je continue seul jusqu’à mon retour vespéral, où me réchauffe et me réjouit la double chaleur du foyer.

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