Journal du conteur

Je suis tout en bas et eux tout en haut…

Je suis tout en bas et eux tout en haut, immenses, écrasants. Mais grâce à leur protection, à leur bienveillance, à leur éducation, je grandis et grossis. Lentement je les rattrape. Je ne le sais pas encore, ils me paraissent inaccessibles, insurpassables. Les années passent, et nous éloignent ; chacun va son chemin. Un jour, je m’aperçois que je les ai perdus de vue. Je fouille le ciel, les alentours du regard, et ne les vois pas. Ils ont disparu, me dis-je. Quelque chose attire mon regard vers le sol. Je le scrute, en vain. Je dois me baisser. Je ploie mon dos, m’accroupis. Enfin, le nez au ras du sol, je les vois : minuscules, rampants. Je les ai donc dépassés, déjà tellement dépassés… Avec effort, je les observe, et comprends qu’eux ne peuvent plus me voir : nous vivons désormais à des échelles incommensurables. Je ne suis pourtant pas encore un géant, puisque j’ai le regret de ne pouvoir me montrer à eux de toute ma nouvelle hauteur.

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