Journal du conteur

La réponse

La réponse est toute proche, à portée de main, et pourtant insaisissable. Aurions-nous trop peu de force ? De volonté de la saisir ? Ou peur de ce qu’elle serait ? Non, car des mains se tendent, incessantes, tremblant de désir et d’espoir — mais les derniers millimètres semblent infranchissables. Et néanmoins, au fil des siècles les hommes se rapprochent, le chemin des générations se porte au-devant de la réponse, qui reste visible et n’a jamais bougé. Comme si les secondes, à mesure qu’on s’en approche, devenaient des millénaires, et les millimètres des années-lumière. Tous les hommes savent pourtant qu’il suffirait que l’un d’eux sorte une fois du rang, franchement, d’un seul pas, et avant même que les clameurs aient commencé il aurait saisi la réponse. Mais personne ne sort du rang, presque personne ne l’imagine, et ceux qui l’oseraient sont relégués et fermement maintenus au dernier rang. C’est donc toutes en même temps que les mains se tendent, comme une seule main immense, — qui ne peut rien, car la réponse est trop petite pour tous, elle n’est à la taille que de chacun. Les hommes pourraient s’en saisir à tour de rôle, mais comme ils n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les préséances, ils continuent d’essayer tous ensemble, en vain.

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