Journal du conteur

Le but qu’il s’est donné est posé…

Le but qu’il s’est donné est posé, offert, sur la table — là où il l’a mis lui-même ; assis sur la chaise, il n’a qu’à tendre la main pour le saisir. Mais il s’efforce de ne pas le saisir : devant son but il se retient, avec une constance désespérée, car son but est justement de ne pas saisir son but. C’est pour se concentrer sans diversion sur cet effort qu’il nous a quittés, il y a déjà de nombreuses années, qu’il s’est retiré dans les hauts plateaux déserts, pour se concentrer sur cette lutte très difficile, presque insoutenable. Mais ce serait encore pire, encore plus dur s’il cédait à la possibilité néfaste de saisir ce but dérisoire, dérisoirement inutile et consciemment choisi comme tel, car alors rien — il le sait —, absolument rien ne se passerait, rien ne changerait et il faudrait recommencer… Et combien ce serait difficile de recommencer, sans l’espoir diffus qu’à défaut d’idéal le but instille… Plutôt la mort que ça !

Bien sûr, il voudrait ne plus avoir à lutter : être libéré du but, l’oublier, quitter la cabane, redescendre parmi nous et reprendre la vie. C’est là son vrai but, mais pour l’atteindre il doit déjà franchir l’obstacle du premier, et il en est encore loin.

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