Journal du conteur

Le jeu de la vie

Le trésor, on l’enterre. Pas loin, sans doute, voire dans le jardin même : l’endroit importe peu. On creuse, on le dépose, on remblaie le trou et maquille les traces. Et on attend de l’avoir oublié.

Les années passent. Il en faut beaucoup, pour qu’on ait le temps d’oublier le lieu et jusqu’à l’existence du trésor. Au bout d’un certain temps, on n’attend plus que par habitude, sans savoir quoi. Finalement on oublie même d’attendre. Puis un jour, par hasard, l’idée du trésor enfoui ressurgit : on n’y avait pas pensé depuis si longtemps… On fouille sa mémoire, longuement, on s’applique : il faut se convaincre que la plus petite réminiscence a disparu. Si tel est le cas, enfin au bout de tant d’années de préparation inconsciente, le jeu peut commencer. La quête au trésor. Où peut-il bien être enterré ? Tout à coup c’est une obsession qui commence : le trésor devient l’objet de l’existence. On retourne le jardin, la campagne alentour, des nuits durant dans les champs des voisins comme un voleur, jusqu’à épuisement ou jusqu’au moment où la pelle rebondit sur le couvercle moisi.

Dans le vieux coffre de bois, on reconnaît une vieille fleur séchée tombée en poussière, quelques pierres taillées, deux ou trois taches sombres ayant été les gouttes rouges du sang d’un serment non tenu, quelques mèches de cheveux décolorées, une épée de bois, une poupée désarticulée, un paquet de vieilles lettres illisibles… Et, parmi tous ces souvenirs ou d’autres, un miroir. Celui qui peut se regarder dans ce miroir n’y voit qu’un moribond : tel est le jeu.

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