Journal du conteur

Le jour de ma mort

Comme je me débattais, l’océan sortit de son lit pour venir s’abattre sur le mien. Quelle claque ! Mais ce n’était pas encore assez. Le tremblement de terre avait détruit ma maison, l’ouragan m’avait emporté jusqu’au pôle, mais je refusais encore de me laisser prendre. La comète fonça droit sur moi, et dans un suprême effort je la détournai. Les hommes, terrifiés, hagards — du moins les quelques survivants des cataclysmes —, vinrent me supplier. « L’heure est venue, dirent-ils, nul ne peut y échapper. Pense à nous : vas-tu ruiner la terre par ton stupide orgueil ? » La mort était parmi eux, petite vieille mince et toute plissée, mais encore alerte, avec une bonne voix et un bon sourire, et un regard malicieux. Elle me fit un clin d’œil. Eh oui ! Elle avait gagné, elle avait trouvé mon point faible. Les hommes s’amoncelaient, toujours plus nombreux, plus près de mon lit, m’étouffant, toujours plus menaçants et hargneux. Quand la foule se jeta sur moi, je relâchai mon effort, rendis mon souffle, tendis le bras et appelai la vieille. Preste, elle me délivra juste avant mon engloutissement par la marée humaine.

Maintenant nous clopinons côte à côte, main dans la main. C’est une belle histoire d’amour de petits vieux. Elle ne me quitte pas des yeux, déjoue par avance, avec un sourire complice, toutes mes tentatives de fuite. « C’est le temps de l’assomption ! » ne cesse-t-elle de répéter ; et je vais finir par m’y mettre.

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