Journal du conteur

Le pouvoir mortel que j’ai dans l’œil…

Le pouvoir mortel que j’ai dans l’œil n’est pas très puissant : une infime aiguille énergétique, dont les attaques sont invisibles et les dégâts microscopiques. Il me suffit de regarder les êtres vivants d’une certaine façon pour que, souvent sans que je l’aie fermement décidé, mes flèches partent. Suivant mon humeur, soit elles ne laissent chacune qu’une minuscule hémorragie, qui coagulera bien avant d’avoir été mortelle, qui ne laissera aucune séquelle et n’aura même pas été ressentie, ou à peine, comme une piqûre d’insecte ; soit au contraire, dans l’instant ma cible succombe, sans même s’en rendre compte.

Je n’ai jamais eu besoin de m’entraîner, la précision et la puissance de mes coups augmentent en raison directe de ma colère ; il faut donc, au cours de mes trajets et balades, qu’on m’ait provoqué jusqu’à l’exaspération pour que ma vengeance soit fatale. Comme je sors surtout la nuit et croise peu de monde, l’occasion m’est rarement donnée d’en arriver là. Mais les fois où je me déchaîne, est-ce la propreté de l’attaque, l’absence de sang, l’apparence de naturel de la mort, l’anonymat des victimes, le défaut de coupable pour tout autre que moi, médecins légistes compris ? je n’arrive en tout cas pas à me considérer comme un assassin.

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